Fiche méthodogique synthèse 7 : Gain et perte de fonction génique dans l'embryon

Gain et perte de fonction génique dans l’embryon


Vous savez désormais qu’à chaque étape du développement les différents types cellulaires expriment des répertoires spécifiques de gènes. Ainsi, même adjacentes, des cellules peuvent ne pas exprimer les mêmes gènes, ceci en lien avec leur histoire et leur position. Ces gènes codent pour divers types de protéines qui peuvent par exemple être des facteurs de transcription, des protéines sécrétées, des molécules d’adhérence etc…

La génétique du développement s’intéresse à leur fonction au cours de l’embryogenèse ou en période post-embryonnaire. Pour comprendre un processus, quelle que soit l’échelle considérée, macroscopique, tissulaire, cellulaire, il faut en effet accéder à la fonction des gènes exprimés dans les cellules du tissu considéré. Pour ce faire il faut perturber leur expression et donc leur fonction dans les cellules. Il existe différentes stratégies, différentes méthodes. Vous en verrez des exemples au travers d'analyses de documents au cours du TD5.


Démarche générale de l’analyse d’un gain ou d’une perte de fonction

En génétique dite « classique » (du phénotype au gène), l’examen d’un mutant naturel ou généré par mutagenèse au hasard conduit à identifier puis étudier un ou plusieurs gènes a priori inconnus. Dans l’approche dite « génétique inverse » présentée ici (du gène à sa fonction), on connaît a priori le gène que l’on souhaite étudier et l’on perturbe son expression (selon des méthodes décrites ci-après) pour accéder à sa fonction (Figure 20). Dans cette approche, c’est le fait de connaître la séquence du gène qui permet de le cibler spécifiquement (à l’ère du séquençage des génomes entiers, tous les gènes d’un organisme peuvent être identifiés).  


Figure 20 : Représentation schématique de la démarche expérimentale en génétique inverse. Les « éclairs » oranges indiquent les différents niveaux de l’expression génique (du gène à la protéine active), qui peuvent être affectés quand le gène est muté de façon ciblée ou à l’issue d’une perturbation de son expression effectuée par l’expérimentateur. Le phénotype peut être identifié à diverses échelles (moléculaire, cellulaire, tissulaire, organisme entier).

La perturbation de l’expression d’un gène peut consister à :
  • Inhiber totalement son expression ; cela équivaut à réaliser une perte de fonction totale.
  • Diminuer son expression ; cela équivaut à réaliser une perte de fonction partielle.
  • Augmenter son expression dans les cellules qui l'expriment ; cela équivaut à réaliser un gain de fonction.
  • Forcer son expression dans les cellules qui ne l'expriment pas en temps normal ; cela équivaut à réaliser un gain de fonction ectopique

On note que ce type d’analyse est réalisée sur des gènes dont on soupçonne qu’ils exercent une fonction dans un processus considéré à un stade développemental donné. C’est souvent le profil d’expression du gène ou de la protéine (classiquement analysé par hybridation in situ ou immunofluorescence) qui permet d’émettre cette hypothèse initiale.


Les outils du gain et de la perte de fonction génique

Une méthode classique de gain de fonction génique consiste à introduire dans les cellules ou tissus ciblés un vecteur d’expression (classiquement, un plasmide) contenant un ADN complémentaire (ADNc) du gène d’intérêt sous contrôle d’un promoteur ubiquitaire (promoteur actif dans tout type cellulaire ; Figure 21). L’ADNc sera donc transcrit puis les ARNm traduits en protéines. Le gène est surexprimé lorsque l’expression permise par le vecteur s’ajoute à une expression endogène. Il est exprimé de façon ectopique lorsque le vecteur permet une expression dans un tissu où le gène ne s’exprime normalement pas.

Nous verrons plus loin comment ce vecteur peut être introduit dans des cellules ou dans des embryons.


Figure 21 : Représentation schématique d’un vecteur d’expression plasmidique.

Il existe de nombreuses méthodes permettant de réaliser des pertes de fonction génique. Certaines, que nous ne verrons pas cette année, consistent à directement modifier le génome de cellules ou d’embryons pour muter un gène d’intérêt afin d’empêcher son expression ou de générer une protéine inactive.

On peut également introduire dans les cellules ou l’embryon des ARN antisens, qui, par hybridation avec l’ARNm du gène ciblé vont empêcher sa traduction ou entraîner sa dégradation. Il en résultera une diminution de l’expression de la protéine (perte de fonction partielle). Il existe deux grands types d’ARN antisens utilisés pour ce faire :

  • Des ARN « interférents » (ARN antisens pouvant être codés par un vecteur d’expression).
  • Des oligonucléotides de synthèse chimiquement modifiés appelés « Morpholinos » (Figure 22).

Figure 22 : (A) Comparaison de la structure d’un désoxyribonucléotide conventionnel et d’un oligonucléotide Morpholino. La composition chimique modifiée du Morpholino lui confère une grande stabilité in vivo. (B) Les Morpholinos sont conçus pour s’hybrider par complémentarité de base sur des ARNm ciblés. S’ils sont complémentaires de la région contenant le codon initiateur (AUG), la traduction de l’ARNm cible est inhibée (schéma de gauche). Ils peuvent également être conçus pour s’hybrider à des régions contenant un site d’épissage (SS). Ceci conduit à un ARNm incorrectement épissé et une protéine défective (schéma de droite).

Enfin, on peut également réaliser une perte de fonction partielle en jouant directement sur l’activité de la protéine d’intérêt :

  • En introduisant des anticorps « bloquants » qui, par interaction spécifique avec la protéine ciblée, l’empêcheront d’exercer sa fonction.
  • En utilisant d’éventuels inhibiteurs pharmacologiques de la protéine ciblée.

Les méthodes d’introduction de matériel exogène dans l’embryon

Transférer du matériel génétique exogène dans des cellules en culture est relativement aisé. La technique s’appelle transfection et repose sur divers protocoles. On peut par exemple inclure l'ADN ou des ARN interférents dans des liposomes. Ces micelles, qui possèdent des propriétés structurelles analogues à celles des membranes cellulaires, vont fusionner avec elles, libérant l'ADN dans la cellule. Transférer du matériel génétique exogène dans des cellules in vivo est plus délicat.

Chez certains organismes dont les cellules sont de grandes tailles (comme l’embryon de Xénope aux premiers stades de son développement), on peut directement et facilement injecter du matériel exogène (ADN, ARNm, morpholinos, anticorps bloquants) dans une ou plusieurs cellules ciblées. Seules les cellules filles de la cellule injectée auront une expression génique perturbée (Figure 23).  Ainsi, une injection dans un unique blastomère de l’embryon de Xénope au stade 2, résulte en embryon dont une moitié (gauche ou droite) est perturbée et l’autre intacte. Le même individu sert donc à la fois de test (côté injecté) et de contrôle négatif (côté non injecté).


Figure 23 : Principe de l’injection d’ARNm dans l’embryon de Xénope. Le matériel génétique exogène (ici des ARNm codant les protéines fluorescentes RFP et GFP) peut directement être injecté dans les blastomères de l’embryon. Ici l’injection est réalisée au stade 2 cellules dans les deux blastomères. Notez que toute la moitié gauche de l’embryon dérive du blastomère qui a reçu les ARNm GFP et toute la moitié droite de celui qui a reçu les ARN RFP. Dans une expérience de gain ou perte de fonction, les ARNm ou les morpholinos peuvent être injectés dans un unique blastomère en présence d’ARNm codant la ß-galactosidase ou une protéine fluorescente. Ces rapporteurs permettront d’identifier les cellules qui dérivent du blastomère injecté.

Plus le développement avance, plus les cellules sont petites, et plus il est difficile de réaliser des injections. La technique d’électroporation, utilisée également in vitro sur des cellules en culture, est un type de transfection qui peut être réalisée in vivo dans l’organisme en développement. Elle consiste à appliquer un champ électrique sur les membranes cellulaires qui sont ainsi déstabilisées, ce qui augmente leur perméabilité membranaire. La figure 24 montre sa mise en œuvre sur un embryon d’oiseau. Nous retrouverons cette technique en TD.


Figure 24 : Principe de l’électroporation dans le tube neural d’embryon de poulet (vues dorsales). Le matériel génétique exogène est injecté dans l’embryon (ici dans la lumière du tube neural). Un champ électrique est ensuite appliqué. Il a pour effet (i) de faire migrer l’ADN ou les morpholinos d’un côté seulement de l’embryon (car ces molécules sont chargées ; traits verts) et (ii) de les faire rentrer dans les cellules (car le choc électrique a perméabilisé les membranes). La photo de droite montre un embryon électroporé avec un vecteur codant la ß-galactosidase. L’activité de l’enzyme a ensuite été révélée par une réaction colorée. Notez que seule la moitié gauche du tube neural exprime la ß-galactosidase ; la moitié droite sert de contrôle négatif. Dans une expérience de gain ou perte de fonction, le vecteur d’expression ou les Morpholinos sont co-injectés avec un vecteur codant la ß-galactosidase ou une protéine fluorescente afin d’identifier le côté électroporé.


Analyse du phénotype après un gain ou une perte de fonction génique

Perturber l’expression d’un gène sert à générer un phénotype, à s’écarter de la situation normale en générant des défauts développementaux. Il faut ensuite caractériser le phénotype résultant pour comprendre/déterminer le rôle du gène considéré (Figure 20).

Le premier niveau d’observation est souvent macroscopique (l’embryon peut présenter des défauts visibles à l’œil nu comme un défaut de pigmentation, un problème de polarité, une structure manquante ou surnuméraire…). On peut également réaliser des analyses histologiques sur coupes au microscope ou chercher à savoir si l’expression de divers marqueurs d’intérêt est perturbée (par exemple un marqueur de différenciation si l’on soupçonne que la perturbation génique a affecté la différenciation d’un type cellulaire). Les techniques utilisées pour ce faire regroupent notamment la PCR, l’hybridation in situ ou l’immunofluorescence. Quelle que soit l’option choisie, la démarche d’analyse phénotypique se décline toujours en trois étapes :

  • On recense et on qualifie les défauts aux échelles considérées (cellulaire, tissulaire ou macroscopique) par comparaison avec le contrôle.
  • On quantifie ces défauts par rapport à la situation contrôle (on quantifie le pourcentage d’embryon présentant le phénotype macroscopique observé, une expression, un nombre de cellules exprimant tel ou tel marqueur, la taille d’une structure, …).
  • On conclue sur le rôle du gène dans le processus et à l’échelle considérés.

Les analyses de documents que vous devez préparer en vue du TD5 vous fourniront de multiples exemples de perturbations géniques (gain ou perte de fonction) associées à des défauts phénotypiques; elles seront l’occasion de revoir les différentes méthodes présentées ici autour de questions biologiques concrètes.

 
Notions de nécessité et suffisance ou la conclusion ultime de l’analyse phénotypique

Lorsqu’on réalise une analyse phénotypique, les défauts décrits permettent de conclure si la fonction du gène est nécessaire et/ou suffisante pour le processus considéré. Prenons quelques exemples :

  • Une mutation perte de fonction du gène A conduit à la perte des membres locomoteurs antérieurs chez la souris. La conclusion immédiate de ce résultat/phénotype sera : le gène A est nécessaire à la formation des membres antérieurs chez la souris.
  • Une cellule X subit normalement une division asymétrique. L’inhibition de l’expression du gène B promeut la division cette fois-ci symétrique de la cellule X. On conclue donc que le gène B est nécessaire à la division asymétrique de la cellule X. 
  • L’expression ectopique du gène C au niveau du flanc de l’embryon poulet conduit à l’induction d’un membre locomoteur supplémentaire du côté testé. Conclusion : le gène C est suffisant à la formation d’un membre. 

NB : Ces mêmes termes s’appliquent en conclusion d’expériences d’ablation ou de greffe de cellules ou tissus. Par exemple :  

  • L’ablation d’un groupe de cellules entraîne l’absence de membres locomoteurs antérieurs chez la souris. La conclusion immédiate de ce résultat/phénotype sera : ce groupe de cellules est nécessaire à la formation des membres antérieurs chez la souris.
  • La greffe ectopique d’un groupe de cellules induit la formation d’un membre surnuméraire. La conclusion immédiate de ce résultat/phénotype sera : ce groupe de cellules est suffisant à la formation d’un membre.

Pour vous faire une idée concrète de la démarche expérimentale en génétique inverse, allez voir ce TP virtuel qui vise à analyser le rôle du gène Pax8 sur la formation du rein embryonnaire chez le Xénope : https://rnbio.upmc.fr/tp_xenope#Pr%C3%A9sentation_du_TP_x%C3%A9nope


 







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