Synthèse 7 : INDUCTIONS EMBRYONNAIRES CHEZ LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX
Ce cours en ligne synthétique reprend les points de programme suivants :
- Inductions embryonnaires précoces dans l’embryon de Xénope
- Rôle morphogène et « organisateur » de l’auxine dans l’embryon d’Arabidopsis
- Inductions embryonnaires tardives : exemple de la détermination des différents territoires somitiques chez les vertébrés
- Fiche méthodologique : gain et perte de fonction génique dans l'embryon
Synthèse 7 : INDUCTIONS EMBRYONNAIRES CHEZ LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX
Inductions embryonnaires
Vous avez vu en synthèse 5 les grandes étapes du développement des organismes animaux et végétaux et constaté, à l’échelle macroscopique, les transformations majeures de l’embryogenèse depuis la cellule œuf ou zygote jusqu’au juvénile ou à la plantule. Nous avons vu également en synthèses 3 et 6, qu’à l’échelle cellulaire, ces transformations reposent sur des comportements fondamentaux (division, croissance/élongation cellulaire, différenciation et, chez les animaux spécifiquement, migration).
L’enjeu de la synthèse 7 est de vous montrer comment la communication entre groupes de cellules contribuent à modeler l’embryon et à fixer le destin des différents territoires qui le composent, aboutissant à la formation de tissus qui occupent une place spécifique dans le plan d’organisation. Le processus sous-jacent se nomme induction. Une induction embryonnaire fait intervenir un groupe de cellules ou un tissu dit « inducteur », à l’origine d’un signal chimique diffusible qui va être perçu par un groupe de cellules ou tissu « cible » compétent. Chez ce dernier, la réception du signal va entraîner des modifications d’expression génique qui vont contribuer à déterminer sa destinée. On note que la compétence d’un tissu à répondre à un signal donné dépend notamment de la présence de récepteurs spécifiques à la surface des cellules.
Les processus d’inductions sont très dynamiques et ont lieu tout au long de l’embryogenèse. Un tissu nouvellement induit peut à son tour devenir inducteur des tissus environnants (Figure 1). Nous verrons dans cette synthèse comment des inductions embryonnaires très précoces contribuent à la mise en place du plan d’organisation de l’embryon animal ou végétal puis nous étudierons un exemple d’induction embryonnaire plus tardif, à l’origine de la détermination des différents territoires somitiques.
Inductions embryonnaires précoces dans l’embryon de Xénope.
Mise en évidence de l’induction du mésoderme au cours de la segmentation
La Figure 2 présente la carte des territoires présomptifs au stade blastula, dressée à la suite d’expériences de lignage chez le Xénope (cf synthèse 5). Cette carte simplifiée renseigne sur le devenir des cellules en fonction des zones dans l’embryon. Cependant, elle n’indique pas comment les différents territoires ont été mis en place, ni si, au stade où la carte est dressée, tous les territoires sont déjà déterminés (i.e. si leur destinée est déjà fixée).
Comment le mésoderme a-t-il été induit ? Observez la Figure 3 qui décrit des expériences de d’associations d’explants de calottes animales (CA) et végétatives (CV).

(A) Nous remarquons qu’une CA cultivée seule (témoin négatif) se différencie en ectoderme. En revanche, une CA mise au contact d’une CV génère des dérivés mésodermiques en plus de l’ectoderme. Conclusion : le mésoderme est donc induit par les cellules de la CV.
(B) Cette induction n’a pas lieu si une barrière imperméable sépare la CA et la CV, suggérant soit la nécessité d’un contact CA/CV, soit la diffusion d’un signal de la CV vers la CA. L’ajout d’un filtre évitant le contact direct entre les cellules des deux calottes mais perméable aux molécules diffusibles permet de conclure que l’induction repose sur l’émission d’un signal diffusible.
À quel stade le destin mésodermique commence-t-il à être déterminé ? Observez maintenant la Figure 4 qui décrit des expériences de culture in vitro de calottes animales et végétatives disséquées à partir d’embryons au stade 32 ou 128 cellules.

Au stade 32 cellules, l’analyse révèle que la CA se différencie en ectoderme. Elle était donc déjà déterminée vers un destin ectodermique mais pas encore déterminée à générer du mésoderme. En revanche, au stade 128 cellules, elle génère de l’ectoderme et du mésoderme. L'induction mésodermique a donc débuté entre le stade 32 et 128 cellules. On note qu’à ces stades la CV n’est pas encore déterminée à devenir de l’endoderme.
Quelle est la nature des inducteurs mésodermiques ? Historiquement, les molécules impliquées dans l'induction mésodermique ont d'abord été recherchées in vitro en testant leur capacité à induire du mésoderme sur des calottes animales. Deux types de protéines ont ainsi été identifiées : le facteur de croissance FGF (Fibroblast Growth Factor) et des membres de la famille TGFb (Transforming Growth Factor b), incluant la protéine maternelle Vg1 et des protéines appelés Xnr (Xenopus nodal related) sur lesquelles nous travaillerons en TD. Voyons l’action de Vg1 sur des calottes animales dissociées (Figure 5).


Mise en évidence d’un centre inducteur des axes embryonnaires (centre organisateur) dans l’embryon précoce.

Le centre organisateur identifié ici au niveau du blastomère D1 est qualifié de « centre de Nieuwkoop » du nom du chercheur qui l’a mis en évidence. Les activités biochimiques contenues dans le centre de Nieuwkoop vont être transmises aux cellules filles du blastomère D1 au cours de la segmentation et vont permettre la synthèse de morphogènes spécifiques qui vont contribuer à organiser le destin des cellules filles dans l’espace, avant même que la gastrulation ne débute.
Comment ces activités inductrices se sont-elles mises en place ?
Les expériences précédentes montrent qu’en fin de segmentation, les cellules ne sont pas équivalentes entre elles, notamment en termes de signaux qu’elles émettent (Figure 8).
Figure 8 : Représentation schématique et simplifiée des signaux à l’œuvre en fin de segmentation. On distingue notamment des signaux en provenance des blastomères végétatifs (violets) et des signaux émanant du centre organisateur de Nieuwkoop (verts).
Essayons de comprendre comment une telle hétérogénéité s’est mise en place. Il faut pour cela remonter le temps et étudier l’ovocyte. Vous avez vu en synthèse 5 que cette cellule est polarisée. Certaines protéines et certains ARNm maternels sont localisés dans des zones précises de l’ovocyte (distribution asymétrique). On les appelle des déterminants ; Ils sont ou codent diverses protéines, parmi lesquelles des facteurs de transcription ou des facteurs paracrines. Tel est le cas des ARNm codant Vg1 qui sont localisés progressivement au pôle végétatif de la cellule au cours de l’ovogenèse (Figure 9). Au cours des premières divisions, les déterminants cytoplasmiques se répartissent asymétriquement dans les cellules filles. Celles-ci se distinguent donc les unes des autres d’un point de vue moléculaire. Avec des contenus biochimiques distincts, les blastomères auront notamment des capacités différentes à activer l’expression de gènes spécifiques ou à envoyer des signaux spécifiques aux cellules environnantes.Figure 9 : (A) Hybridation in situ à l’aide d’une sonde fluorescente, montrant la localisation des ARNm Vg1 à différents stades de l’ovogenèse (stades I à VI). En fin d’ovogenèse, ils sont localisés au pôle végétatif. Ce processus est dépendant du transport microtubulaire. D’après Zhang Q. et al. Mech Dev. 1999; 88 (1): 101-6. (B) Hybridation in situ à l’aide de sondes dirigées contre divers ARNm maternels montrant leur localisation dans différentes régions de l’ovocyte (stade 1 cellule), puis leur héritage différentiel par les cellules filles au cours de la segmentation (stades 2 cellules et morula). D’après Lee C. et al Dev Dyn. 2009; 238 (6): 1480-91.
Par ailleurs, vous avez vu en synthèse 5 que la fécondation s’accompagne d’un mouvement du cytoplasme cortical visualisable par l’apparition du croissant gris. Cette rotation corticale déplace notamment une protéine du nom de Dishevelled (Dsh), un activateur de la voie Wnt (vous avez travaillé sur cette voie en TD). Au cours des divisions de la segmentation, les cellules filles qui héritent de Dsh activent des gènes cibles de la voie Wnt, mais pas les autres. Ce processus ajoute à l’hétérogénéité précédemment décrite et contribue à la formation du centre de Nieuwkoop (Figures 10 et 11).
Figure 10 : (A, B) Visualisation du mouvement de particules fluorescentes injectées au niveau du cortex végétatif au cours de la rotation corticale. La fécondation entraîne un remaniement important du réseau microtubulaire (en orange sur les schémas). Il se forme notamment, au pôle végétatif, un faisceau de microtubules alignés de façon parallèle et orientés dans la même direction (array). Ce faisceau est nécessaire au déplacement du cytoplasme cortical (flèche noire) et à la relocalisation conséquente de composants cytoplasmiques. D’après Rowning B.A. et al. PNAS 1997 18;94(4): 1224-9. (A’, B’) Représentation schématique de l’asymétrie cellulaire avant (A’) et après (B’) la rotation corticale. Observez la région encadrée : elle ne contient pas les mêmes déterminants avant et après. Le centre de Nieuwkoop vient de se former au pôle opposé au point d’entrée du spermatozoïde.
Figure 11 : (A) Relocalisation de la protéine Dsh au cours de la rotation corticale. Le mouvement du cytoplasme cortical entraîne Dsh sur la face opposée au point d’entrée du spermatozoïde (encadrée en noir, région dans laquelle se forme le croissant gris). (B) Représentation schématique du fonctionnement de la voie Wnt : voie inactive en rouge ; voie active en vert. Au cours des divisions de la segmentation, les cellules filles qui hériteront de Dsh activeront des gènes cibles de la voie Wnt, pas les autres.
Résumons l’ensemble (Figure 12) :
- Des ARNm et protéines maternels sont répartis asymétriquement dans l’ovocyte au cours de sa maturation. Ils sont hérités de façon différentielle par les cellules filles au cours de la segmentation. Ces déterminants sont ou peuvent coder (i) des facteurs de transcription qui activeront des gènes cibles spécifiques dès que la transcription du génome zygotique débutera (au stade mid-blastula) ou (ii) divers facteurs sécrétés (morphogènes, facteurs de croissance) qui vont contribuer aux premières inductions embryonnaires (cas de Vg1 impliqué dans les étapes précoces de détermination du mésoderme).
- La fécondation génère une asymétrie supplémentaire en relocalisant certains déterminants cytoplasmiques. C’est le cas en particulier de la protéine Dsh qui permet de stabiliser la ß-caténine sur la face opposée au point d’entrée du spermatozoïde. Dès que la transcription du génome zygotique débute, les cellules dans lesquelles la ß-caténine est active peuvent activer la transcription de gènes cibles spécifiques.
- Un centre organisateur (le centre de Nieuwkoop) est mis en place dès la fécondation. Dans ce centre, l’activité combinée de déterminants cytoplasmiques et de la ß-caténine permet l’expression de gènes cibles particuliers conférant à cette région de l’embryon ses propriétés organisatrices.
Figure 12 : Au stade jeune blastula, les blastomères sont moléculairement disctincts. Sur la base des déterminants cytoplasmiques qu’ils contiennent, on peut schématiquement distinguer 3 grandes régions : une région animale (région 1), une région végétative (région 2) et une région d’activité de la ß-caténine (région 3). Un centre organisateur est présent : le centre de Nieuwkoop. Dans la blastula plus âgée, des signaux inducteurs émanant des blastomères végétatifs induisent le mésoderme. Des signaux émanant du centre de Nieuwkoop commencent à fournir aux cellules des informations positionnelles. Ils vont notamment induire un 2ème centre organisateur, dont vous avez entendu parler en L1 et que vous reverrez l’an prochain, l’organisateur de Spemann. Ce dernier est indispensable pour la formation du blastopore et la gastrulation et pour l’émission de signaux morphogènes qui contribueront à fixer les destinées des cellules selon les axes antéro-postérieur et dorso-ventral.
Rôle morphogène et « organisateur » de l’auxine dans l’embryon d’Arabidopsis.
Vous avez vu en synthèse 5 que l’embryon végétal s’organise autour d’un axe de polarité apico-basal. Il est désormais connu que l’auxine joue un rôle fondamental dans la mise en place de cet axe au cours de l’embryogenèse végétale, comme en témoigne le phénotype de mutants de gènes de réponse à l’auxine (Figure 13). Elle est également à l’origine de l’acquisition de la symétrie bilatérale qui caractérise la plantule.



Inductions embryonnaires tardives : exemple de la détermination des différents territoires somitiques chez les vertébrés.
Comme indiqué précédemment, les phénomènes d’induction ne sont pas limités à l’embryogenèse précoce. Ils se poursuivent tout au long du développement embryonnaire dans chaque tissu/organe en formation. Prenons l’exemple des somites. Vous avez vu en synthèse 5 que ces structures embryonnaires dérivent du mésoderme paraxial et sont à l’origine des muscles, du squelette axial (côtes et vertèbres) et du derme (Figure 16).

Figure 16 : Lignage du mésoderme paraxial. D’après Gilbert « Developmental Biology ».

Figure 17 : Rappel sur la formation des somites. À gauche : schéma d’embryon de poulet en vue dorsale. Au centre : photographie en microscopie électronique à balayage de la région dorsale d’un embryon. À droite : schéma de coupes transversales effectuées au niveau des plans a, b, c. Les somites se forment de façon périodique de la région antérieure à la région postérieure par segmentation du mésoderme paraxial (appelé également mésoderme présomitique non segmenté). À un stade donné, on peut donc observer simultanément différents stades de formation des somites : les plus jeunes sont situés postérieurement et les plus âgés antérieurement. L’observation des plans de coupes a et b met en évidence le processus d’épithélialisation des somites : peu après la segmentation d’un nouveau somite, les cellules initialement mésenchymateuses effectuent une transition mésenchymato-épithéliale pour former une jeune somite épithélialisée (TME). L’observation des plans de coupes b et c met en évidence le processus de régionalisation des somites : dans les somites plus âgés une claire régionalisation dorso-ventrale est visible avec un épithélium dorsal (dermomyotome) et un tissu mésenchymateux ventral (sclérotome). La figure 18 montre comment ces deux tissus se sont formés. D’après Pourquié, Medecine/Sciences 1997.
Figure 18 : Régionalisation des somites. Suite à l'épithélialisation (schéma de gauche), la
partie ventrale du somite effectue une transition épithélio-mésenchymateuse (TEM)
pour former le sclérotome en position ventrale. La partie dorsale reste
épithéliale, c’est le dermomyotome (schéma central). Des cellules du dermomyotome vont ensuite effectuer
une nouvelle TEM et délaminer (schéma de droite). Ce sont des précurseurs
musculaires. Certains vont se différencier localement pour former la
musculature dorsale. D’autres vont migrer dans l’embryon pour aller former la musculature
du tronc et des membres.
La formation des somites repose donc sur de nombreux processus cellulaires : (i) segmentation du mésoderme paraxial, (ii) épithélialisation des somites, (iii) régionalisation dorso-ventrale faisant intervenir des transitions épithélio-mésenchymateuses successives (genèse du sclérotome puis délamination des précurseurs musculaires à partir du dermomyotome). Tous ces processus cellulaires sont coordonnés par de multiples signaux inducteurs en provenance des tissus environnants. En particulier, ces signaux contrôlent la détermination du sclérotome et du dermomyotome (Figure 19). Nous reviendrons en TD sur le rôle des signaux émis par la notochorde dans la détermination de ces deux tissus.
Figure 19 : Les différents territoires somitiques sont induits par des signaux
diffusibles en provenance (i) dorsalement : de l’épiderme et de la région
dorsale tube neural, (ii) ventralement : de la notochorde puis de la région
ventrale du tube neural (Sonic Hedgehog), (iii)
latéralement : du mésoderme latéral (non montré sur schéma). Il en résulte
l’expression de facteurs de transcription SPÉCIFIQUES qui vont permettre la
différenciation des différents dérivés somitiques (comme Pax3 et Pax1 indiqué
sur le schéma). D’après Pourquié,
Medecine/Sciences 1997.